LA REPRODUCTION DU SILURE AFRICAIN EN CONDITIONS D’ELEVAGE

ALLA Yao Laurent 1 et BLE Mélécony Célestin 2

1 Chercheur, Centre de Recherches Océanologiques, BP V 18 Abidjan, Côte d'Ivoire

2 Chercheur, Centre de Recherches Océanologiques, BP V 18 Abidjan, Côte d'Ivoire

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introduction

           La reproduction est un processus par lequel l’être vivant perpétue son espèce. C’est généralement le cas chez tous les êtres vivants dans leur milieu naturel. Cependant, chez les poissons, certaines espèces ne se reproduisent pas spontanément lorsqu’elles sont en élevage (Billard, 1986). Il s’agit entre autres du mâchoiron Chrysichthys nigrodigitatus et du silure Heterobranchus longifilis qu’on rencontre dans les cours d’eau et lagunes ivoiriennes, et qui sont très appréciés par nos populations. Dans le cadre de la promotion de l’aquaculture en Côte d’Ivoire, le Centre de Recherches Océanologiques (CRO) a entrepris depuis quelques années, des travaux qui ont abouti à la mise au point de techniques de reproduction artificielle de ces deux espèces. Ces techniques qui sont à présent bien maîtrisées (Legendre, 1986 ; 1991 ; Slembrouck et Legendre, 1988 ; Hem et al., 1994 ; Alla, 2005) permettent de contrôler les différentes phases de production de ces poissons depuis la reproduction jusqu’à l’obtention d’individus de taille marchande.

                 Chez le silure H. longifilis, la reproduction artificielle comporte sept principales étapes que nous allons décrire dans ce document technique.

                 1-Choix des géniteurs

                Cette étape concerne les individus (mâles et femelles) qui seront utilisés pour faire la reproduction. Le premier critère de choix des géniteurs est leur âge qui doit être d’au moins un an. En plus d l’âge, la femelle doit présenter un ventre bien arrondi qui montre que les ovaires contiennent beaucoup d’œufs

           femelles retenues doivent subir la biopsie intra-ovarienne qui consiste à introduire un cathéter (tuyau en plastique) d’environ 2 mm de diamètre dans leur orifice génital pour extraire des œufs (au moins 30). Ils sont ensuite étalés sur une lame puis observés à la loupe binoculaire pour la lecture de leur diamètre. On retient les femelles dont le diamètre moyen ovocytaire est supérieur ou égal à 1,5 mm. Mais on peut utiliser des femelles de diamètre moyen ovocytaire inférieur s’il n’y a en pas assez. Les géniteurs choisis sont gardés dans des bacs de conditionnement disposés dans une salle dotée d’un système de renouvellement de l’eau.

    

Planche 1 : Géniteurs de silure Heterobranchus longifilis (A) dont une femelle choisie, subit la biopsie intraovarienne (B)

2- Injection d’hormone aux femelles choisies

 On doit injecter de l’hormone (HCG) aux femelles pour achever la maturation des œufs. La dose d’hormone injectée à chaque femelle dépend de son poids. Elle est de 1,5 UI/g de poids corporel. L’injection se fait entre les nageoires dorsale et adipeuse, au-dessus de la ligne latérale, à l’aide d’une seringue de 1 ml dans laquelle on dilue l’hormone (sous forme de poudre blanche) dans 1 ml de solvant qui du NaCl à 0,9 %. Après l’injection, les femelles sont conservées dans les bacs de conditionnement en attendant la collecte des œufs par massage abdominal. Le temps qui sépare l’injection d’hormone et la collecte des œufs est appelé temps de latence et dépend de la température de l’eau dans les bacs de conditionnement. Les travaux antérieurs ont permis de déterminer les variations de ce temps en fonction de la température de l’eau dans les bacs de conditionnement des géniteurs (Tableau I). Le respect de ce temps de latence est nécessaire pour la réussite de la reproduction, car on risquerait d’extraire soit des œufs non matures, soit des œufs en état de surmaturation.

Planche 2 : Injection d’hormone (HCG) à une femelle de Heterobranchus longifilis

                3- Préparation du ou des mâles

                 Compte tenu du temps de latence qui est généralement long, cette opération a souvent lieu le lendemain matin environ une heure avant la collecte des œufs. Comme il n’est pas facile d’obtenir du sperme par massage abdominal du mâle, on est obligé de le tuer, le disséquer, prélever ses testicules pour extraire le sperme. Pour ce faire, il faut nettoyer soigneusement les deux lobes testiculaires avec du papier absorbant, les inciser à l’aide d’une paire de ciseaux et recueillir le sperme dans un bécher. Le sperme obtenu est dilué dix fois avec du NaCl à 0,9 % avant d’être utilisé.

           

Planche 3 : Dissection d’un mâle de Heterobranchus longifilis (A) en vue de l’extraction du sperme (B)

4- Extraction des ovocytes par massage abdominal des femelles induites

                A l’heure indiquée, les femelles sont retirées les unes après les autres dans l’ordre d’induction pour l’extraction des ovocytes. La tête de la femelle est recouverte d’une serpillère mouillée pour la maintenir tranquille. Le premier opérateur la soulève par la tête et la met contre son flanc puis à l’aide de l’autre main, procède au massage du ventre de l’animal (du haut vers le bas), un deuxième opérateur tenant sa queue. Les ovocytes sont expulsés par jets à travers l’orifice génital, sont recueillis dans un récipient tenu par un troisième opérateur. Après avoir collecté le maximum d’ovocytes, la femelle est remise dans le bac de conditionnement en attendant de la ramener en étang.

Planche 4 : Collecte des ovocytes par massage abdominal d’une femelle de Heterobranchus longifilis

                5- Insémination et fécondation artificielle

                 Il s’agit ici de mélanger le sperme et les ovocytes en vue de la fécondation qui est la fusion entre un spermatozoïde et un ovocyte pour donner un œuf. Les études ont montré que pour avoir un bon taux de fécondation, il faut 0,125 ml de sperme dilué pour 1 g d’ovocytes. Dans des bols, on constitue des lots d’ovocytes de poids variables selon les besoins de l’opérateur auxquels on ajoute le volume de sperme correspondant à l’aide d’une seringue. En remuant légèrement le mélange, on ajoute également un peu d’eau de robinet pour activer les spermatozoïdes qui vont alors féconder les ovocytes. Une fois activé, la durée de vie maximale d’un spermatozoïde est d’environ 1 minute à une minute 30 secondes. On rince deux à trois fois les œufs fécondés avec de l’eau avant de les incuber.

  

Planche 5 : Insémination (A) et fécondation artificielle (B) chez Heterobranchus longifilis

                6- Incubation des œufs

                Elle se fait à la température ambiante sur des tamis (d’environ 2 mm de maille) disposés dans des bacs contenant de l’eau de robinet. Les œufs fécondés sont bien étalés sur les tamis et recouverts avec du contreplaqué pour éviter la contamination de l’eau d’incubation.

Planche 6 : Incubation des œufs fécondés de Heterobranchus longifilis

                7- Eclosion et élevage larvaire

                Selon la température de l’eau d’incubation, les premières éclosions interviennent 24 à 28 heures après la fécondation. Dès l’éclosion, les larves passent à travers les mailles du tamis pour se retrouver dans le bac. Lorsque le maximum de larves descendent dans le bac, le tamis est secoué et retiré de l’eau du bac. On ouvre le circuit pour renouveler l’eau d’incubation et commence alors l’élevage larvaire. Quarante huit (48) heures après l’éclosion, les larves reçoivent leur première ration alimentaire. L’aliment généralement distribué est l’Artemia salina qui a été montré comme étant le meilleur aliment de départ pour une bonne croissance au cours de l’élevage larvaire chez plusieurs espèces de poissons à potentialité aquacole (Léger et al., 1987; Legendre & Teugels, 1991; Legendre et al., 1991; Dhert & Sorgeloos, 1994; Hem et al., 1994; Lavens & Sorgeloos, 1996).

Planche 7 : Larves (J5) de Heterobranchus longifilis en élevage à l’écloserie

 Conclusion

                En dépit de quelques difficultés liées à la qualité des géniteurs (volume de sperme, nombre d’ovocytes collectés…) dans certains cas, cette technique permet de produire assez de larves à chaque séance de reproduction. Après un mois d’élevage à l’écloserie, elles sont soit transférées à la station de Layo dans d’autres structures d’élevage pour l’alevinage, le pré grossissement et le grossissement, soit livrées aux pisciculteurs privés qui en font la demande. La reproduction artificielle du silure Heterobranchus longifilis permet donc de faire un approvisionnement régulier en larves et alevins de cette espèce à ceux qui désirent en faire l’élevage.

Références bibliographiques

1- Alla Y. L., 2005. Reproduction artificielle, élevage larvaire et cycle annuel de production de sperme chez le silure africain Heterobranchus bidorsalis (Geoffroy Saint-Hilaire, 1809). Thèse de Doctorat 3ème cycle. Université de Cocody, Côte d’Ivoire, 140 p.

2- Billard R., 1986. Spermatogenesis and spermatology of some teleost fish species. Reprod. Nutr. Develop., 26 (4): 877-920.

3- Dhert P. & Sorgeloos P., 1994. Live feeds in aquaculture. In: Aquaculture towards the 21st century. K. P. P. Nambiar and T. Singh (Eds). Proceedings of INFOFISH-AQUATECH 94, International Conference on Aquaculture, INFOFISH, Colombo, Sri Lanka, pp. 209-219.

4- Hem S., Legendre M., Trébaol L., Cissé A. & Moreau Y., 1994. L’aquaculture lagunaire. In : Environnement et ressources aquatiques de Côte d’Ivoire. Tome II. Les milieux lagunaires. J. R. Durand P. Dufour, D. Guiral, S. G. F. Zabi (Eds.). Editions de l’ORSTOM, Paris : 455-505.

5- Lavens P. & Sorgeloos P., 1996. Manuel on the Production and Use of Live Feed for Aquaculture; FAO Fisheries Technical Paper 361 pp.

6- Legendre M., 1986. Seasonal changes in sexual maturity and fecundity and HCG-induced breeding of catfish Heterobranchus longifilis (Clariidae), reared in Ebrie lagoon (Côte d’Ivoire). Aquaculture 55: 201-213.

7- Legendre M., 1991. Potentialités aquacoles des Cichlidae (Sarotherodon melanotheron, Tilapia guineensis) et Clariidae (Heterobranchus longifilis) autochtones des lagunes ivoiriennes. Thèse de Doctorat, Université Montpellier II. 83 p.

8- Legendre M. & Teugels G. G., 1991. Développement et tolérance à la température des œufs de Heterobranchus longifilis, et comparaison des développements larvaires de H. longifilis et de Clarias gariepinus (Teleostei, Clariidae). Aquat. Living Resour 4, 227-240.

9- Legendre M., Slembrouck J., Kerdchuen N. & Otémé Z. J.,1991. Evaluation d’une méthode extensive d’alevinage des Clariidae en cages implantées en étangs. Docs. ORSTOM Montpellier 4, 35 p.

10- Léger Ph., Bengtson D. A., Sorgeloos P., Simpson K. L. & Beck A. D., 1987. The nutritional value of Artemia: a review. In: Artemia Research and its Applications (Sorgeloos, P., Bengtson, D. A., Decleir, W. Bengtson, D. A. & Jaspers, E. eds), Vol. 3 pp. 357-372. Universa Press, Wetteren, Belgium.

11- Slembrouck J. & Legendre, M. (1988) Aspects techniques de la reproduction contrôlée de Heterobranchus longifilis. Cent. Rech. Océanogr. Abidjan, 19 p.

 

 

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